Robyn ORLIN ... une grande dame de la chorégraphie
L'allegro,
il Penseroso ed il Moderato
BALLET DE L‘OPÉRA
Création chorégraphique
Robyn Orlin
Crédit Photo Philippe Lainé
Ode pastorale en trois parties HWV 55 (1740) de
Georg Friedrich Haendel
Musique Georg
Friedrich Haendel - Chorégraphie et vidéo Robyn Orlin - Réalisation
vidéo Philippe Lainé - Costumes Olivier Bériot - Lumières Marion
Hewlett
L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato interprété par les
Arts Florissants sous la direction de William Christie, conjugue le chant, la
musique et la danse. Mais
l’essentiel de ce spectacle est ailleurs, cette représentation au Palais
Garnier étant servie par une des plus grandes chorégraphes actuelle. La mise en
scène a été confiée à Robyn Orlin, une artiste pour qui la danse est "politique" et dont les oeuvres soulèvent des questionnements incessants. Elle
souhaite, avec L’Allegro, privilégier une interrogation sur les thèmes
philosophiques, artistiques et humains que sous tend l’œuvre musicale.
«Robyn
Orlin, s’intéresse de très près aux thèmes
de l’intolérance, du racisme, de la pauvreté et de la violence. Sensible
à la réalité sociale et culturelle de l’Afrique du Sud, elle prend en
considération son histoire, ses clivages et ses ruptures et oriente sa
réflexion sur l’ensemble du continent africain. Ses œuvres, de nature
subversive, soulèvent ainsi de nombreux questionnements, tout en maniant avec
subtilité humour et dérision».
William
Christie dans un interview confirme «La démarche intellectuelle de Robyn Orlin
me fascine. Elle parle en utilisant des images très fortes dans un langage très
coloré et imagé. Je soupçonne qu’elle possède un sens rhétorique extrêmement
aigu …»
Cette première collaboration de la chorégraphe sud africaine est
un enchantement et pendant près de deux heures, la musique sert de prétexte à
une chorégraphie ludique et enlevée, littéralement un ballet de costumes
baroques et bigarrés pour ne pas dire ethno-déjanté. Mais ce serait trop
simpliste comme description alors même que la lecture contemporaine de cette
œuvre crée en 1740, au-delà du plaisir de l’ouïe et des yeux, laisse un arrière
goût dérangeant.
La
scène de l’opéra a été coupée en deux dans sa hauteur, la partie supérieure
étant occupée par un écran panoramique sur lequel sont projetées des vidéos de
Philipe Lainé, tournées en Afrique du sud, pays natal de la chorégraphe. Un
procédé d’incrustation numérique en temps réel permet tout au long de la
représentation, d’insérer des éléments de la chorégraphie dans les images,
démultipliant l’effet, les images des danseurs ainsi contextualisées prenant une résonnance plus
subversive.
Sur
scène les danseurs évoluent dans une atmosphère saturée de lumière, ambiance mi
boite de nuit mi boite à musique, en un mélange d’anachronisme et de modernité
qui met en valeur les costumes incroyables conçus par Olivier Bériot. Au rythme
de la musique et des enchainements qui composent cet allegro, les danseurs
s’habillent et se dévêtissent continuellement, dans une chorégraphie
vestimentaire que ne renierait pas Vivienne Westwood. Ballet de slips
kangourous fluos pour débuter, slip impressions ethniques plus tard ou
immaculés au final, les danseurs magnifiques aux anatomies sculpturales, s’en
donnent à cœur joie pour illustrer cette ode pastorale.
Le
message est ailleurs, dans ces accoutrements étonnants, les danseurs composants
des silhouettes de plus en plus surchargées, passant de l’informe au difforme,
comme une mutation qui frise l’handicap, entravés dans cette surabondance de
biens, comme pour dénoncer en filigrane la débauche de nos civilisations
occidentales en regard du dénuement et de l’extrême pauvreté du continent
africain. La question reste entière mais a le mérite d’avoir été posée par la
chorégraphe.
Ce
qui n’était qu’un simple divertissement prend avec les images des vidéos une
tournure de plus en plus dramatique. En effet, ce qui apparaît d’abord comme un vibrionnant
délire loufoque et multicolore sur l’ouvrage de Haendel porté par les Arts
Florissants, leurs solistes et leur chœur, se mue imperceptiblement en un
douloureux survol de la misère humaine.
La force des
images, douces et bucoliques en ouverture, deviennent urbaines et plus
violentes avec les vues prises à Johannesburg, dans le quartier de Hillbrow et
le township d’Alexandra, pour une apothéose cataclysmique avec la violence d’un
combat entre un lion s’acharnant sur un buffle, fable illustrant
vraisemblablement l’éternel question de la survie et de loi du plus fort, pour
s’achever dans un torrent de boue dévastant tout sur son passage ou des nuées
de fumée de building s’éventrant, nous remémorant les heures sombres du Tsunami
ou celles du 11 septembre.
L’attention
est tout entière focalisée sur ces images qui cannibalisent littéralement l’attention
parfois au détriment de la partition musicale et du show des danseurs.
Mais ce
serait par trop réducteur, la chorégraphe ayant su comme personne magnifier ce
moment pour amorcer et susciter un après spectacle et ouvrir de nouveaux champs
de réflexion, après avoir quitté l’univers feutré de l’opéra pour se retrouver
au grand jour.
Petite anecdote … je me suis retrouvé par le plus grand des hasards au 2ème rang, sur proposition de l’ouvreuse, mes moyens m’ayant à l’origine autorisé un fond de baignoire sans grande vue. Chance partagée avec ma voisine, une jeune touriste panaméenne. Un quart d’heure après le début du spectacle, cette dernière a littéralement bondi de son fauteuil lorsque les chœurs ont surgi au milieu de nous. Assis comme de simples spectateurs, les choristes au fil de leurs interventions se levaient armé de matraques lumineuses pour éclairer leurs visages. Une véritable immersion dans le chant, mieux que le plus sophistiqué des système dolby stéréo. Je pense que notre amie panaméenne se souviendra longtemps de sa frayeur … des fantômes de l’opéra Garnier.
Olivier Castaing, Paris le 7 mai 2007
Le spectacle dure encore toute cette semaine, hélas seules les places les plus cheres sont encore disponibles ... mais c'est un très grand moment qui restera dans les mémoires de l'opéra.